LES FONDS MONéTAIRES TOKENISéS : UN PAS DE PLUS VERS L’ADOPTION INSTITUTIONNELLE

L’adoption des actifs numériques s’accélère chez les acteurs institutionnels : après l’ETF Bitcoin Spot, BlackRock lance son premier fonds monétaire tokenisé sur la blockchain Ethereum. Le cabinet Blockchain Partner by KPMG France donne ses perspectives sur cette annonce.

L’appétit des acteurs institutionnels pour les actifs numériques en 2024 ne faiblit pas. Après un début d’année marqué par les lancements records des ETF Bitcoin au comptant outre-Atlantique, les regards sont déjà tournés vers l’arrivée des prochaines tendances de fond et innovations du secteur. Sans grande surprise, la tokenisation d’actifs financiers, marché estimé à environ 16 000 milliards de dollars en 2030, se présente comme le futur espace de conquête des acteurs financiers traditionnels. Parmi les itérations et expérimentations réalisées au cours des derniers mois (principalement des émissions d’obligations tokénisées d’entreprises), tant par des acteurs publics que privés, une en particulier semble se démarquer : le fonds monétaire tokenisé.

Si le gestionnaire d’actifs Franklin Templeton avait ouvert la voie en créant, en avril 2023, le premier fonds monétaire tokenisé – le FOBXX avec 360 millions de dollars d'actifs sous gestion – sur la blockchain Polygon, c’est cette fois BlackRock qui donne le ton. En effet, le géant américain a annoncé le 19 mars dernier le lancement du premier fonds monétaire tokenisé sur Ethereum : le BlackRock USD Institutional Digital Liquidity Fund (BUIDL).

Un positionnement fort du plus grand gestionnaire d’actifs au monde (10 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion), qui en dit long à la fois sur la vision et sur la confiance vis-à-vis de la sécurité et de la maturité de l’écosystème Ethereum. Par ailleurs, le fonds est d'ores-et-déjà autorisé à émettre d’autres types de produits tokenisés à l’avenir, notamment sur des layers-2 (réseaux secondaires créés pour décongestionner une blockchain). Signe d’une stratégie mature tant sur les convictions technologiques que sur la structuration en cours du marché crypto.

Déjà 380 millions de dollars sous gestion pour BUIDL

Avec plus de 380 millions de dollars d’actifs sous gestion en un peu plus d’un mois, BUIDL est l’exemple parfait des synergies possibles entre des acteurs de la finance traditionnelle et l’écosystème crypto.

Le fonds a en effet été structuré en collaboration avec de nombreuses parties prenantes. A commencer par Securitize, agent de transfert et plateforme de tokenisation enregistré auprès de la SEC, chargé des processus de souscription et de rédemption des parts. BlackRock a également choisi la Bank of New York Mellon comme administrateur du fonds et principal dépositaire des actifs sous-jacents, composés en grande majorité de bons du Trésor américain à court terme et de repos (accord financier fonctionnant comme un prêt à court terme sécurisé). La gestion des liquidités du fonds est quant à elle assurée par Circle, l’entité émettrice du stablecoin USDC et dans laquelle BlackRock a investi. Enfin, BUIDL s'appuie également sur d’autres acteurs de l’écosystème crypto comme les fournisseurs de technologies Coinbase, Fireblocks ou BitGo.

Au-delà d'une structuration hybride, les différents mécanismes du fonds apportent un vent nouveau sur le marché des produits financiers, mettant en lumière les avantages de la tokenisation d’actifs ainsi que ceux de la Finance Décentralisée (« DeFi »). Le tout en bonne conformité et en réponse aux attentes réglementaires du gendarme américain.

En premier lieu, seuls des acteurs américains préalablement sélectionnés par BlackRock et ayant suivi une procédure stricte de KYC/KYB (procédure de vérification d’identité) peuvent souscrire au fonds, avec un dépôt minimum de cinq millions de dollars. Concernant le processus d’émission, chaque part du fonds est émise sous forme de titre financier numérique («security token») avant d’être représentée par un jeton ERC-20 (standard de token sur la blockchain Ethereum) – le BUIDL – d’une valeur constante d’un dollar qui peut être échangé uniquement contre de l’USDC (stablecoin adossé au dollar émis par la firme Circle), à tout moment et sans aucune contrainte de volume.

Comme tout fonds monétaire, BUIDL permet à ses investisseurs de recevoir les dividendes inhérents aux actifs sous-jacents, calculés de manière quotidienne et versés le premier jour du mois suivant, directement en tokens BUIDL sur le portefeuille crypto de leur choix ayant fait l’objet d’un KYC. La toute première transaction liée au versement des dividendes date par ailleurs du premier avril dernier, avec plus de 260 000 dollars versés et dont la rédemption en USDC peut se faire de manière instantanée et directement « on-chain ».

Si le modèle probant de BUIDL donne très certainement le top départ d’une course aux produits financiers tokenisés à grande échelle, il ouvre surtout la voie à un champ des possibles bien plus large dans l’univers de la DeFi, du fait de la composabilité de cet écosystème. Dans un environnement de marché où les taux d’intérêts issus des bons du Trésor américain sont plus attractifs (jusqu’à 5,4% pour les plus courts) et moins risqués que certaines stratégies de rendement en DeFi, le BUIDL pourrait représenter un collatéral de référence pour l’ensemble de l’écosystème. Il se distingue ainsi de la plupart des stablecoins utilisés dans les protocoles de prêts ou d’emprunts qui n’offrent à ce jour aucun rendement associé à leur simple détention.

Preuve par l’exemple, les applications de finance décentralisée Mountain Protocol (protocole associant un stablecoin et rendement) ou Ondo Finance (protocole de gestion de produits financiers sur blockchain) ont déjà annoncé allouer une partie de leurs réserves, auparavant appuyées sur les mêmes ETF obligataires traditionnels de BlackRock, en token BUIDL. L’avantage ? Un mécanisme de souscription et rédemption instantanée, contre plusieurs jours auparavant, et cela 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Alors que BlackRock et son fonds BUIDL permettent de crédibiliser encore davantage l’innovation financière qu’apportent les technologies des actifs numériques, tant par la tokenisation d’actifs que la finance décentralisée, plusieurs défis restent à relever. Ces derniers ne sont plus d’ordre technologique mais davantage structurel, en raison du manque d’interopérabilité et d'harmonisation des infrastructures blockchain utilisées, en sus d’un cadre réglementaire toujours en cours de développement.

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