Hello Bank!, lancée en 2013, s’est récemment félicitée d’avoir franchi le cap des 1,5 millions de clients, tandis que Boursobank (créée en 2006) s’est également flattée d’avoir conquis trois millions de clients ces trois dernières années. Pratiquement dans le même temps, Revolut (dont la filiale française a été créée en 2021) a ouvert 3,5 millions de comptes dans notre pays (mais l’appli Revolut était disponible en France depuis 2017 et comptait déjà 900.000 utilisateurs en 2021). Depuis le début de l’année et pour la première fois, Revolut est l’appli bancaire la plus téléchargée en France. On en parle cependant assez peu. Pourquoi donc?
Nouvel entrant sur un marché qu’on croyait peu propice à un développement rapide, Revolut laisse encore perplexes les principaux établissements bancaires français: vraie menace? Feu de paille? Simple banque de niche pour les voyageurs?
Revolut, qui vient tout juste de fêter ses dix années d’existence, mène actuellement une opération de cession de titres qui vise à porter sa valorisation à 40 milliards de dollars. Plus que les 33 milliards déjà atteints il y a trois ans. Soit le double de la valorisation d’un établissement de la taille de Société Générale (autour de 18,9 milliards d'euros, soit 20,7 milliards de dollars). Une valorisation qui n’a rien d’extravagant toutefois, si l’on considère que Revolut pourrait bien être la première banque universelle de demain.
Quels sont donc les secrets d’un établissement qui, en dix ans à peine, a séduit 45 millions de clients dans 38 pays et dont, partout, la conquête de nouveaux comptes ne montre aucun point d’inflexion, alors même qu’il ne dispose toujours pas d’une licence bancaire sur son principal marché, le Royaume-Uni?
D’emblée, Revolut présente un caractère qui n’avait encore jamais été observé: c’est une banque nativement internationale. Certes, les néobanques à succès N26, Bunq ou Nubank ont adopté la même démarche mais à une échelle beaucoup plus restreinte, limitée à quelques pays. Tandis que Revolut ouvre en Inde et au Brésil aussi bien qu’en Nouvelle-Zélande. Il n’y a guère que Paypal qui pourrait à cet égard lui être comparé, ou Klarna pour le côté nativement transfrontières. Mais Paypal et encore moins Klarna ne sont des banques généralistes.
Cependant, avec une gouvernance très centralisée mais une forte culture de compétition interne, Revolut ne déploie pas du tout une formule unique dans tous les pays: certains produits sont testés ici, proposés là, abandonnés ailleurs. En moins de dix ans, Revolut a ainsi dépassé en nombre de pays où il est présent, la vingtaine de banques de détail véritablement internationales, c’est-à-dire occupant une position importante sur plusieurs marchés nettement distincts. Aujourd’hui, le constat est simple, quoiqu’encore peu considéré: Revolut est l’établissement financier généraliste qui, au monde, dispose désormais du plus grand marché.
Or, alors qu’en 2023 Revolut a enregistré pour la première fois des bénéfices conséquents (503 millions d'euros pour un produit net bancaire ou PNB de 2,1 milliards d'euros), une autre donnée attire particulièrement l’attention. En France, les banques classiques emploient en moyenne un collaborateur pour 300 à 400 clients. Chez Revolut, on compte un employé pour 5.520 clients. Pour 12 millions de nouveaux clients en 2023, il n’a donc été nécessaire de ne recruter qu’un peu plus de 2.000 collaborateurs. Conséquence: un coefficient d’exploitation de 44%, encore grevé par des coûts importants d’installation et de marketing propres à un établissement en pleine expansion mais qui est presque deux fois moindre que celui de la plupart des banques classiques.
Certes, la gamme de produits traités n’est certainement pas la même mais l’écart est tel qu’en phase de conquête, Revolut va pouvoir pratiquer des tarifs très attractifs, sans travailler à perte et donc sans compromettre le renforcement de ses fonds propres qu’exigera son déploiement dans les activités de crédits.
Or cela définit toute sa stratégie: l’important n’est pas de proposer rapidement une gamme de produits la plus large possible mais de conquérir des clients sur la base de quelques produits phares, uniques (Revolut appelle cela "la stratégie du snack").
C’est en effet une autre spécificité forte: se positionner comme une banque complémentaire en première approche et non pas comme la banque principale de ses clients. C’est là notamment l’objectif -généralement mal rempli- des banques en ligne françaises, focalisées sur les ouvertures de compte, acquises à coût d’offres de bienvenue onéreuses et supposant un catalogue fourni (45 produits différents pour Boursobank, par exemple). Des coûts dont Revolut peut se dispenser, mettant plutôt en avant ses produits d’appel et d’appoint –les voyageurs furent ainsi ciblés au départ– avant d’élargir progressivement son offre. Une banque de services donc en première approche, plus qu’une banque de dépôts.
Sans doute est-ce pourquoi beaucoup d’observateurs n’ont pas vu venir Revolut. Son offre leur paraissait bien trop maigre pour pouvoir parler de "vraie" banque. Pourtant, à en juger par le montant moyen de transactions par client (1.914 dollars par mois, avec une forte hausse en 2023; Paypal est à 316 dollars par client et par mois), ainsi que par le nombre de clients qui choisissent l’une des formules d’abonnement proposées (+41% en 2023), la formule est gagnante.
Le revers de la médaille, bien entendu, est que la rentabilité par client reste très faible: 18 euros par an. Cependant, Revolut a les moyens d’y remédier, même s’il reste un peu trop calé sur une approche par produits et par les styles de vie qui, aujourd’hui, a de manière générale montré des limites. Comme en témoignent le succès de néobanques comme Chime, Sofi ou Starling, mais aussi celui des outils de grandes banques américaines comme Nutmeg ou Life Plan, l’enjeu aujourd’hui est de refonder la relation bancaire sur des valeurs de sécurité et de bien-être financier. Il est, avec les nouveaux outils d’intelligence client, de renouveler l’accompagnement et le conseil financier.
Nul doute que Revolut puisse y réussir. Il en a en tous cas l’envie. Quoi qu’il en soit, il nous semblait surtout important de souligner dans l’immédiat qu’est apparu depuis trois ans en France un établissement de banque universelle qui non seulement est en train de devenir énorme mais face auquel, en termes de marque, de tarifs et d’expérience client, les banques classiques risquent d’ici quelques années de n’avoir pas grand-chose à opposer.
2024-07-17T13:11:45Z