L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire régional, obligatoire d'ici 2032, avance. Le 16 mai prochain, la région Bourgogne-Franche-Comté devrait statuer sur un premier lot qui inclura non seulement l'exploitation de lignes régionales, mais aussi la maintenance du matériel roulant. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, les décideurs poursuivent déjà l'étape d'après : Transdev remplacera la SNCF à partir du 29 juin sur la ligne Marseille-Toulon-Nice, une première en France métropolitaine. Les effets concrets de cette transformation seront scrutés de près par tous, des utilisateurs aux ministères, en passant par les autres exécutifs régionaux.
Car au-delà de la simple mise en conformité avec les règles européennes, l'ouverture à la concurrence soulève une question de fond : peut-on mieux faire avec les mêmes moyens - ou avec moins ?
Les régions, de plus en plus sollicitées sur les enjeux de mobilité, doivent composer avec des finances contraintes. Or, dans les régions qui ont expérimenté la concurrence, y compris ailleurs en Europe, les effets sont documentés : comme le rappelle le dernier Rapport sur les transports express régionaux de la Cour des comptes, « Transdev annonce, en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, un doublement de l'offre à coût constant », tandis que dans « les Hauts-de-France et les Pays de la Loire sont annoncées des baisses de 20 à 25 % du coût du service. » Au niveau européen, la Commission européenne indique que « l'Italie a enregistré une réduction de 31 % des prix, tandis que l'Autriche a enregistré une augmentation de 41 % de la fréquence des services, illustrant ainsi comment la concurrence améliore à la fois l'accessibilité et la qualité des services. » Ainsi, c'est tout le système qui en profite, à commencer par l'usager.
À l'heure du lancement, le 5 mai dernier, d'Ambition France Transport - conférence sur l'avenir du financement des mobilités en France visant à définir un modèle pérenne, ces réserves de gains de productivité et de meilleure efficacité des finances publiques sont des opportunités à aller chercher.
Cette mise en concurrence ne signifie pas l'éviction automatique de la SNCF. Bien au contraire, dans plusieurs cas, l'opérateur historique remporte les appels d'offres - mais à de meilleures conditions pour la collectivité. Là où les conventions directes avec la SNCF s'appuyaient souvent sur des forfaits peu transparents, les appels d'offres introduisent une logique de prix compétitifs et de performance mesurable, sans remettre en cause la fiabilité et la robustesse du système. Cela oblige tous les acteurs, y compris l'opérateur historique, à optimiser leur modèle opérationnel, à ajuster leur structure de coûts, et à innover sur les modalités de service (horaires, information voyageurs, tarification multimodale...). En réinterrogeant ses pratiques, ses tarifs et ses marges, le groupe public, lui aussi se réinvente.
Cependant, la réussite de cette transformation dépend largement de la manière dont les régions abordent ce tournant. Les meilleures pratiques incluent, par exemple, une bonne préparation des procédures avec une équipe projet dédiée qui sera ensuite en mesure d'assurer un suivi contractuel renforcé, un projet d'offre de transport clair et attractif économiquement, des modalités (accès aux données historiques, planning...) qui permettent de garantir une égalité de traitement de tous les candidats, la mise en place d'indicateurs de performance robustes et opposables (ponctualité, régularité, taux de satisfaction). Ce type d'approche permet de mieux anticiper les risques, d'ajuster les exigences techniques des appels d'offres, et de garantir une exécution fluide des contrats sur le long terme. Bien loin d'un désengagement politique, comme ses détracteurs aiment à la qualifier, l'ouverture à la concurrence est un acte de responsabilité des autorités organisatrices, fondé sur une vision de long terme.
À l'heure où la transition écologique appelle à repenser nos mobilités, le ferroviaire a un rôle clé à jouer. Encore faut-il qu'il soit performant, lisible et attractif. La concurrence bien encadrée, bien préparée, peut y contribuer. Contrairement à certains dires, elle est une excellente opportunité pour renforcer le service public.
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(*) Delphine Séné est associée chez Alenium, cabinet de conseil en transformation digitale, organisationnelle et métier de Klee Group. Elle pilote les activités liées aux mobilités et aux transports. Forte de près de 20 ans d'expérience, Delphine Séné accompagne les autorités organisatrices et les opérateurs dans la définition de systèmes de mobilité performants, la mise en concurrence des services de transport, ainsi que dans l'animation de concertations et la conduite d'études prospectives. Elle intervient régulièrement lors d'événements professionnels pour partager son expertise sur les transformations organisationnelles dans le secteur des mobilités.
2025-05-09T13:20:26Z