L’ASCENSEUR SOCIAL EST BLOQUé POUR LES INDéPENDANTS, ALERTE L'INSEE

Exercer une profession en tant qu'indépendant : liberté ou piège social ? C'est la question qui concerne près de 5 millions de Français déclarés sous ce statut, et que soulève le dernier rapport de l'Insee, publié jeudi 31 juillet et sobrement intitulé : « L'ascension sociale est plus fréquente pour les salariés que pour les indépendants ».

L'Institut National de la Statistique et des Études Économiques (Insee) rappelle qu'en France, parmi les 35 à 59 ans en situation d'emploi, 87 % sont salariés tandis que 13 % exercent une activité indépendante. Sur cette base, l'Institut statistique propose une approche complémentaire aux traditionnelles catégories socioprofessionnelles (CSP), fondée sur ce qu'il appelle les « classes d'emploi ». Autrement dit, l'Insee s'intéresse plus au statut professionnel plutôt qu'au métier lui-même afin d'offrir « une grille de lecture actualisée de la société ».

Particulièrement complexe, cette nouvelle photographie de l'Insee a le mérite de donner un éclairage sur la mobilité sociale entre les professions salariées et les professions indépendantes (activité économique exercée en étant à son compte) en 2023 et 2024. La Tribune a dégagé trois constats clés de l'étude de l'Insee qui démontrent que l'ascenseur social est bel et bien bloqué pour les professions indépendantes.

40 % de chance d'ascension sociale en moins pour les indépendants

Les données de l'Insee montrent que les enfants de parents salariés auront davantage de chance de connaître une ascension sociale que ceux issus de parents exerçant une profession indépendante. Selon l'institut national de la statistique, « les chances d'ascension sociale sont plus faibles de 40 % pour les indépendants par rapport aux salariés ».

Lire aussiLes indépendants explosent tous les compteurs par leur temps de travail

De plus, parmi les indépendants qui ont basculé vers un métier salarié, environ 30 % occupent un emploi de niveau équivalent à celui de leurs parents, ce qui traduit une certaine immobilité sociale. Néanmoins, la mobilité sociale descendante reste relativement limitée : seuls 13 % des femmes et 15 % des hommes salariés issus de parents indépendants occupent un emploi de niveau inférieur à celui de leurs parents.

Comment interpréter ces chiffres ? « Si tant de personnes basculent vers les professions indépendantes, ce n'est pas par choix, c'est en réponse à l'échec du salariat. L'ascenseur social est déjà en panne dans le salariat, et faute de trouver un CDI, beaucoup se tournent vers les professions indépendantes en acceptant un statut social inférieur à celui de leurs parents », estime Grégoire Leclercq, président de la Fédération Nationale des Auto-entrepreneurs et Micro-entrepreneurs (FNAE), pointant un biais dans l'interprétation des données de l'Insee.

Un risque plus marqué de déclassement social

Selon l'Insee, les personnes ayant le statut d'indépendant sont particulièrement exposées au risque de mobilité sociale descendante. Autrement dit, non seulement elles ont moins de chances de gravir l'échelle sociale, mais elles sont aussi plus susceptibles de connaître un déclassement social par rapport à la position de leurs parents.

Ainsi, 34 % des indépendants ont un statut inférieur à celui de leurs parents, contre 26 % des salariés. Chez les hommes, seulement 29 % des indépendants progressent dans l'échelle sociale par rapport à leurs parents, contre 41 % des salariés. Chez les femmes, on retrouve la même tendance puisque 42 % des femmes exerçant une profession indépendante dépassent le niveau professionnel de leurs parents, contre 49 % chez les salariées.

Lire aussiCes employeurs qui aident leurs salariés à se loger

Or, selon Grégoire Leclercq, cette mobilité descendante concerne avant tout les jeunes : « Ce sont surtout les jeunes diplômés qui subissent de plein fouet la dégradation du marché du travail et la précarité. Il n'y a plus de CDI stables et bien rémunérés pour eux. En conséquence, ils sont incapables de progresser socialement et d'atteindre un niveau de vie supérieur à celui de leurs parents ».

Les micro-entrepreneurs sont les plus mal lotis

Les micro-entrepreneurs, qui possèdent un statut particulier leur permettant d'exercer en leur nom propre, sont les plus touchés par le déclassement social. 44 % des micro-entrepreneurs connaissent une mobilité sociale descendante, contre 26 % des indépendants exerçant leur activité dans le cadre d'une société. « Le revenu des micro-entrepreneurs est tellement faible que cela explique en grande partie cette mobilité sociale descendante », justifie le président de la FNAE.

L'Insee précise que parmi les indépendants, 42 % exercent leur activité dans le cadre d'une société, 26 % sont micro-entrepreneurs, et 26 % sont entrepreneurs individuels hors micro-entreprise.

Lire aussiTVA des micro-entrepreneurs : le Sénat veut l'abandon d'une réforme « à l'arrache »

D'après les données de l'Union de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d'Allocations Familiales (Urssaf), leur revenu moyen est d'environ 5 100 euros par trimestre, ce qui, selon Grégoire Leclercq, « n'est même pas de nature à consolider un SMIC, ce qui est extrêmement problématique ».

2025-07-31T15:15:48Z