« L'homme le plus riche du monde va être impliqué dans la mort d'enfants parmi les plus pauvres du monde ». Ces quelques mots prononcés par Bill Gates hier, 8 mai, dans une charge inédite contre le patron de Tesla, ont surpris. L'ancien fondateur de Microsoft, habituellement mesuré, a reproché à Musk d'avoir favorisé les coupes budgétaires drastiques de l'USAID voulues par Donald Trump, au détriment des programmes de nutrition infantile. Une accusation lourde, qui fracture un peu plus la fragile unité de milliardaires américains de la tech autour de Donald Trump.
La présidence Trump, version 2025, bat tous les records en matière de concentration de richesse au sommet de l'État. Selon une enquête du New York Times, les milliardaires occupant des postes gouvernementaux cumulent ensemble 428 milliards de dollars de patrimoine, un chiffre supérieur au PIB de plus de 170 pays. Elon Musk, avec ses 392 milliards, incarne à lui seul cette démesure et pèse lourd dans l'addition.
Lire aussiLa taxe sur les milliardaires à l'épreuve d'un G20 fragmenté
Autour de lui gravitent d'autres figures : Linda McMahon (ex-WWE, 3,2 milliards), Jared Isaacman (NASA, 1,5 milliard), Warren Stephens (ambassadeur à Londres, 3,3 milliards), Stephen Feinberg (Défense, 5 milliards), ou encore Howard Lutnick (Commerce, 3,1 milliards). L'influence de ces acteurs ne se limite pas à leurs portefeuilles : nombre d'entre eux ont directement participé aux campagnes de Trump ou à son conseil économique dès 2016.
Cette osmose entre fortune privée et pouvoir exécutif n'est pas accidentelle. Elle constitue, pour Donald Trump, un projet politique assumé : faire entrer les chefs d'entreprise dans la « gouvernance par deal », selon ses propres mots.
Dans une récente grande analyse pour la revue Le Grand Continent, le politologue Olivier Roy montre que le néolibéralisme s'est mué en vecteur d'un individualisme autoritaire et populiste, et que la droite libérale s'est alignée sur ce tournant. La mise en avant de profils venus du monde des affaires, souvent à la tête d'administrations que Donald Trump souhaiterait voir disparaître, traduit cette transformation : l'État devient l'outil d'une contre-révolution idéologique et sociale.
Lire aussiTrump II : Russell Vought, l'architecte d'un budget au service de Dieu
Trump continue d'afficher un discours « pro-classe moyenne », mais les choix opérés dans ses nominations dessinent un autre agenda. Comme l'analyse Olivier Roy, il ne s'agit plus de défendre un peuple contre les élites, mais de remplacer certaines élites (académiques, juridiques, environnementales) par d'autres — économiques, médiatiques, technologiques.
Ils n'ont que faire de l'État : ils cherchent non pas à le limiter, mais à le privatiser et donc à le détruire. Faire du Pentagone une milice privée : leur rêve devrait être le cauchemar de tous les souverainistes.
Pour autant, tous les milliardaires ne suivent pas cette ligne. Bill Gates en a donné la preuve hier. En s'en prenant à Musk, il a visé plus largement un modèle politique qui instrumentalise la richesse à des fins de domination. D'autres figures de la haute finance ou de la tech — comme Michael Bloomberg, Jeff Bezos ou George Soros — se sont également tenues à l'écart, voire en opposition directe, des ambitions trumpiennes. L'ancien maire de New York Michael Bloomberg a ainsi déclaré qu'il paierait de sa poche les contributions américaines impayées à l'ONU Climat en raison du désengagement américain.
Lire aussiEn France, les inégalités de patrimoine se creusent
Même dans le cercle proche de l'ancien président, des nuances apparaissent. Doug Burgum, avant de rejoindre l'équipe Trump, s'était présenté contre lui aux primaires républicaines. Elon Musk, de son côté, a annoncé vouloir prendre du recul pour se recentrer sur Tesla, en crise. En privé, on le dit consterné par les politiques douanières de son supérieur hiérarchique à la Maison-Blanche. Jared Isaacman, bien qu'intégrée à la stratégie spatiale de Trump au sein de la NASA, garde une posture plus technicienne que partisane... Les milliardaires ne constituent pas un bloc homogène.
Cependant sur les 800 milliardaires américains, J.B Pritzker incarne le mieux la figure montant de l'anti-trumpisme chez les milliardaires. Gouverneur démocrate de l'Illinois, réputé proche de Joe Biden, il a comparé à plusieurs reprises la politique de Donald Trump à celle du IIIe Reich. Sa popularité est croissante à travers le pays. Adam Green, cofondateur d'un comité de campagne progressif, soutient également l'idée que Pritzker pourrait être plus attrayant en tant que « traître à sa classe » selon ses dires.
2025-05-09T14:59:25Z